Je ne parle ici ni des
Catholiques Romains, ni des églises chrétiennes libérales, ni des diverses
sectes qui se disent chrétiennes. Je veux parler clairement des églises
Protestantes en général, dans lesquelles j’inclus celles qui proclament le plus
haut être dans la lignée spirituelle de Jésus-Christ, c’est-à-dire les églises
évangéliques.
Jésus-Christ Homme, après sa
résurrection, fut déclaré Seigneur et Christ par Dieu le Père, qui l'a investi
d’une autorité absolue sur l’Eglise, qui est son Corps. Il s’agit d’une
doctrine fondamentale du Nouveau Testament. Toute autorité lui a été donnée
dans le ciel et sur la terre. Au temps marqué, Christ exercera pleinement cette
autorité. Mais, au cours de la période actuelle de l’Histoire, il permet que son
autorité soit contestée ou ignorée. Actuellement, son autorité est contestée
par le monde, et ignorée par l’Eglise.
La position actuelle de
Christ dans les églises de l’Evangile peut être comparée à celle d’un roi dans
une monarchie constitutionnelle à pouvoir limité. Le roi, parfois
dépersonnalisé par l’emploi de l’expression « la Couronne, » n’est plus, dans
un tel pays, qu’un point de ralliement, un symbole agréable d’unité et de
loyauté, tout comme un drapeau ou un hymne national.
On le loue, on le fête, on
l’entretient, mais il n’a que peu d’autorité.
En principe, il est à la
tête du pays, mais, en cas de crise, c’est quelqu’un d’autre qui prend les
décisions importantes. A certaines occasions formelles, il apparaît en public,
revêtu de ses ornements royaux, pour délivrer le discours terne et creux qui
lui a été préparé par ceux qui gouvernent réellement le pays. Tout cela est
sans doute un faux-semblant qui ne fait de mal à personne, et qui est le fruit
d’une longue tradition. C’est très plaisant, et personne n’a envie de le
supprimer.
Dans les églises
évangéliques, Christ n’est actuellement guère plus qu’un symbole aimé de tous.
« Tous proclament la puissance du Nom de Jésus ! » Tel est l’hymne national de
l’Eglise, et la croix est son drapeau officiel. Mais dans les réunions
hebdomadaires de l’église, comme dans la conduite quotidienne de ses membres,
ce n’est pas Christ qui prend les décisions, c’est quelqu’un d’autre.
Dans certaines
circonstances appropriées, on permet à Christ de dire : « Venez à Moi, vous qui
êtes fatigués et chargés, » ou « Que votre cœur ne se trouble point ! » mais
quand son discours est terminé, quelqu’un reprend les rênes. Ce sont ceux qui
disposent de l’autorité réelle qui fixent les règles morales que doit suivre
l’église, ainsi que les objectifs et les méthodes employées pour les atteindre.
Grâce à une longue et minutieuse organisation, il est à présent possible, pour
le plus jeune pasteur sortant à peine de son école biblique, de disposer, dans
son église, de plus d’autorité que n’en dispose Christ lui-même !
Non seulement Christ ne
dispose plus que d’une faible autorité, quand il en dispose, mais son influence
décroît sans cesse. Je ne dirais pas qu’il n’a plus aucune influence, mais elle
est faible, et elle diminue de plus en plus. On peut comparer cela à
l’influence d’Abraham Lincoln sur le peuple Américain. L’honnête Abraham est
toujours l’idole de notre pays. On voit partout l’image de son visage aimable
et rugueux, tellement ordinaire qu’il en devient beau. Il est facile d’avoir
les yeux embués de larmes quand on évoque sa mémoire. Les enfants grandissent
en écoutant les récits de son amour, de son honnêteté et de son humilité.
Mais dès que nous avons
repris le contrôle de nos tendres émotions, qu’en reste-t-il ?
Rien d’autre qu’un bon
exemple qui, à mesure que le temps passe, devient de plus en plus irréel, et
exerce de moins en moins d’influence. N’importe quel scélérat est prêt à se
draper dans le long manteau noir de Lincoln. A la froide lumière de la réalité
politique des Etats-Unis, la référence constante faite à Lincoln par nos
politiciens ressemble à une cynique plaisanterie.
Les chrétiens n’ont pas
complètement oublié la seigneurie de Jésus, mais elle a été reléguée au niveau
d’un livre de cantiques. On se décharge ainsi confortablement de toute
responsabilité, sous l’effet apaisant d’une agréable émotion religieuse. Ou
alors, si l’on enseigne la seigneurie de Christ de manière théorique, elle
n’est que rarement mise en pratique dans la vie de tous les jours. L’idée que
Jésus-Christ Homme puisse disposer d’une autorité absolue et définitive sur
toute l’Eglise et sur chacun de ses membres, dans tous les détails de leur vie,
cette idée n’est tout simplement plus acceptée comme vraie par les chrétiens
évangéliques de base.
Voici ce que nous faisons
: nous considérons que le christianisme de notre église est identique à celui
de Christ et de ses apôtres. On met les croyances, les pratiques, les principes
et les activités de notre groupe sur le même plan que ceux des chrétiens du
Nouveau Testament.
Tout ce que notre groupe
pense, dit ou fait, est conforme aux Ecritures, cela va de soi. On part du
principe que tout ce que notre Seigneur attend de nous, c’est de nous occuper
des activités de notre groupe. Ce faisant, nous sommes censés obéir aux
commandements de Christ.
Afin d’éviter la dure
nécessité, soit de nous soumettre, soit de rejeter les claires instructions de
notre Seigneur dans le Nouveau Testament, nous nous réfugions dans une
interprétation libérale de ces instructions.
La casuistique (forme
d’argumentation utilisée en théologie morale) n’est pas réservée aux seuls
théologiens de l’Eglise Catholique Romaine. Nous, chrétiens évangéliques,
savons comment esquiver les exigences les plus dures de l’obéissance, en ayant
recours à des explications complexes et sophistiquées. Celles-ci sont
parfaitement taillées pour satisfaire la chair.
Elles excusent la
désobéissance, consolent la chair et annulent l’efficacité des paroles de
Christ. A la racine de tout cela, il y a le fait que l’on ne croit pas que
Christ ait vraiment voulu dire ce qu’il a dit. En théorie, on accepte ses enseignements,
mais après les avoir édulcorés par une interprétation appropriée.
Pourtant, Christ est de
plus en plus consulté par une foule de gens à problèmes, et recherché par ceux
qui aspirent à la paix de l’esprit. On le recommande hautement, comme s’il était
une sorte de psychiatre spirituel disposant de pouvoirs remarquables pour
redresser les gens. Il est capable de les délivrer de leurs complexes de
culpabilité, et de les aider à éviter de sérieux traumatismes psychiques, en
les aidant à s’adapter en douceur à la société et à leur propre ego. Bien
entendu, cet étrange Christ n’a aucun rapport avec le Christ du Nouveau
Testament.
Le véritable Christ est
Seigneur, tandis que ce Christ accommodant n’est guère plus que le serviteur du
peuple.
Mais je suppose que je
devrais offrir certaines preuves concrètes me permettant d’affirmer que Christ
n’exerce plus qu’une faible autorité aujourd’hui sur les églises chrétiennes, à
supposer qu’il l’exerce. Eh bien, permettez-moi de poser quelques questions,
dont les réponses fourniront ces preuves.
Quel conseil presbytéral,
quel conseil d’église, consulte réellement les paroles du Seigneur quand il y a
des décisions à prendre ?
Je demande à tous ceux qui
lisent ces lignes, et qui ont l’expérience d’un conseil d’église, d’essayer de
se rappeler à quel moment l’un des membres de ce conseil a fait référence à un
passage de l’Ecriture pour appuyer ses arguments, ou quand le président de ce
conseil a demandé aux frères de chercher à savoir quelles étaient les
instructions du Seigneur concernant un problème particulier.
En général, les conseils
d’église commencent par une prière formelle, ou un «moment de prière.» Après
quoi, celui qui est la Tête de l’Eglise (Jésus) demeure respectueusement
silencieux, tandis que le véritable conducteur prend la direction des
opérations.
Je demande à tous ceux qui
ne sont pas d’accord avec cette analyse de venir présenter leurs arguments pour
la réfuter ! Pour ma part, je serais très heureux de les entendre !
Quel comité d’école du
dimanche consulte la Parole de Dieu pour y trouver ses directives ?
Est-ce que ses membres ne
partent pas invariablement du principe qu’ils savent déjà tout ce qu’ils sont
censés faire, et que leur seul problème est de déterminer les moyens efficaces
pour parvenir à leurs fins ?
Tout leur temps, et toute
leur attention, sont absorbés par des plans, des règles, des «activités» et des
nouvelles techniques méthodologiques. Ils prient avant les réunions afin de
demander l’aide de Dieu pour réaliser leurs plans. Apparemment, l’idée que le
Seigneur pourrait leur donner certaines instructions ne les a jamais effleurés
!
Qui se rappelle avoir
jamais vu le président d’un comité d’église mettre une Bible sur la table, dans
le but de s’en servir ?
Ordres du jour, règles et
comptes-rendus, oui ! Mais quant aux commandements sacrés du Seigneur, c’est
non ! Il existe une dichotomie absolue (division de quelque chose en deux
éléments que l’on oppose nettement) entre le moment de prière et la séance de
travail qui suit. Le premier n’a aucun rapport avec la seconde.
Quel comité missionnaire
cherche réellement à être guidé par le Seigneur, par sa Parole et par Son
Esprit ?
Tous ses membres sont
persuadés qu’ils le font. Mais ce qu’ils font, en réalité, c’est présumer le
caractère scripturaire de leurs objectifs, et demander l’aide du Seigneur pour
qu’Il leur permette d’atteindre ces objectifs !
Ils sont prêts à prier
toute la nuit pour que Dieu donne du succès à leurs entreprises. Mais tout ce
qu’ils désirent, c’est que Christ les aide, sans être leur Seigneur.
On définit des moyens
humains pour atteindre des objectifs que l’on considère a priori comme divins !
On les met en forme pour en faire des politiques, mais, ensuite, le Seigneur
n’a plus droit au vote !
Dans la conduite de nos
cultes publics, où est l’autorité de Christ ?
En vérité, c’est rarement
le Seigneur qui dirige une réunion aujourd’hui, et l’influence qu’il y exerce
est très faible. Nous chantons sur lui et prêchons sur lui, mais il ne faut pas
qu’il interfère ! Nous lui rendons un culte à notre façon, et cela doit être
bon ainsi, parce que nous l’avons toujours fait de cette manière, tout comme
les autres églises de notre mouvement.
Quand un chrétien
rencontre un problème moral, fait-il immédiatement référence au Sermon sur la
Montagne, ou à tout autre passage du Nouveau Testament, pour y trouver une
réponse qui fera autorité ?
Qui permet à la Parole de
Christ d’avoir le dernier mot en matière de dons, de contrôle des naissances,
d’éducation de la famille, de conduite de vie personnelle, de dîme, de loisirs,
d’achat et de vente, ou d’autres matières importantes ?
Quel établissement
d’enseignement biblique, qu’il s’agisse de la petite Ecole Biblique ou de
l’Institut le plus réputé, pourrait continuer à subsister, s’il faisait de
Christ le seul Seigneur de toutes ses décisions ?
Certains subsisteraient
peut-être, du moins je l’espère, mais je crois avoir raison en affirmant que la
plupart de ces établissements, pour rester en activité, sont contraints
d’adopter des procédures qui n’ont aucune justification dans la Bible qu’ils
ont pourtant la prétention d’enseigner.
Nous trouvons donc cette
étrange anomalie : on ignore l’autorité de Christ, afin de conserver en vie une
école qui est censée enseigner, entre autres choses, cette même autorité de
Christ !
Les causes de ce déclin de
l’autorité de notre Seigneur sont nombreuses. Je n’en citerai que deux.
L’une est la puissance de
l’habitude, des précédents et des traditions, dans les groupes chrétiens les
plus anciens. Ces choses, de même que la gravitation, influencent toutes les
pratiques religieuses du groupe, et exercent une pression régulière et
constante dans une certaine direction. Bien entendu, cette direction est celle
de la conformité au statu quo. Ce n’est pas Christ, mais la coutume, qui
contrôle les situations. Une telle attitude a fini par passer dans d’autres
groupes chrétiens, comme les églises du Plein Evangile, Pentecôtistes ou
fondamentalistes, et dans les nombreuses églises indépendantes et
non-dénominationnelles que l’on trouve dans tout le continent Nord-Américain.
La seconde cause est le
réveil de l’intellectualisme chez les Chrétiens évangéliques.
Si j’analyse correctement
la situation, il s’agit, non de la soif d’apprendre, mais surtout du désir
d’acquérir la réputation d’être érudit. A cause de cela, des hommes de bonne
volonté, qui devraient pourtant être plus avisés, sont poussés peu à peu à
collaborer avec l’ennemi. Permettez-moi de m’expliquer.
Notre foi évangélique, que
je crois être la véritable foi de Christ et des apôtres, est aujourd’hui
attaquée sur de nombreux fronts. Dans notre monde occidental, l’ennemi a
abandonné le recours à la violence. Il ne vient plus nous attaquer avec l’épée
et le fagot. Il vient avec le sourire, les mains chargées de présents. Il lève
les yeux au ciel et jure que lui aussi possède la foi de nos pères. Mais son
objectif réel est de détruire cette foi ou, tout au moins, de la modifier
tellement qu’elle cessera d’être la chose surnaturelle qu’elle était
auparavant. L’ennemi vient aujourd’hui au nom de la Philosophie, de la Psychologie
ou de l’Anthropologie, et nous exhorte, avec de suaves raisonnements, à
repenser notre position historique, et à être moins rigides, plus tolérants,
plus ouverts dans notre compréhension des choses.
Il sait parler le jargon
sacré des écoles, et beaucoup de nos chrétiens évangéliques, imparfaitement
éduqués, se pressent pour l’aduler. Il couvre de diplômes académiques les fils
des prophètes qui se bousculent à ses pieds, tel Rockefeller, qui avait
l’habitude de jeter des piécettes aux enfants des paysans. Les chrétiens
évangéliques qui, avec quelque raison, pouvaient autrefois être accusés de
manquer de réelle formation biblique, s’accrochent aujourd’hui à ces symboles
de statut social, les yeux brillants. Et quand ils les décrochent, ils peuvent
à peine croire qu’ils y sont parvenus ! Ils se promènent à la ronde, remplis
d’une sorte d’incrédulité extatique, comme le ferait le chanteur solo d’une
chorale de paroisse, qui serait invité à chanter à la Scala !
Pour tout vrai chrétien,
le critère suprême de la valeur ultime et de l’orthodoxie de tout ce qui touche
à la foi et à la religion, doit être la place qui y est réservée au Seigneur.
Le Seigneur n’est-il qu’un
symbole ?
Est-Il en charge des
commandes, où n’est-il là que pour aider les autres à réaliser leurs projets ?
Toutes nos activités
spirituelles, que ce soit l’acte le plus simple du chrétien individuel, ou les
actions coûteuses d’une dénomination entière, peuvent être testées en répondant
à une question simple : « Le Seigneur Jésus est-Il le Seigneur de cette action
? »
De la réponse que nous
apporterons à cette question dépendra ce qui sera manifesté au grand jour du
jugement. Nous verrons alors si nous aurons construit avec du bois, du foin, et
de la paille, ou avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses.
Que devons-nous donc faire
? Chacun de nous doit en décider.
Nous avons au moins trois
réactions possibles.
L’une serait de nous
lever, dans un mouvement d’indignation choquée, et de m’accuser de tenir un
discours irresponsable.
Une deuxième réaction
serait de m’approuver, d’une manière générale, mais de tirer réconfort du fait
qu’il y a quand même quelques exceptions, et que nous faisons partie de ces
exceptions.
La troisième réaction
serait de nous incliner, en toute humilité, et de confesser que nous avons
attristé le Saint-Esprit et déshonoré notre Seigneur, en ne Lui accordant pas
la place que Son Père Lui a accordée, en tant que Tête et Seigneur de l’Eglise.
Si nous adoptons la
première ou la deuxième réaction, nous ne ferons que confirmer le mal.
Mais si nous adoptons la
troisième, et si nous allons jusqu’au bout de ce qu’elle implique, nous
pourrons encore écarter la malédiction. La décision nous appartient."
A.W. Tozer
(Cet article parut dans «
The Alliance Witness » le 15 mai 1963, juste deux jours après la mort du Dr
Tozer. En un sens, ce fut son discours d’adieu, car il exprime la préoccupation
de son cœur. Traduit de « The Best of A.W. Tozer »
– Baker Book House, Grand Rapids, Michigan 49506 (USA).)